Parsifal au Teatro Massimo de Palerme : distribution remarquée, mise en scène déroutante
L'idée de la production de Graham Vick, représentée en janvier 2020 au Teatro Massimo à Palerme cherche à rétablir la cruauté et la violence qui sous-tendent la ligne de démarcation entre les migrants et ceux qui les refusent. Elle tente d'embrasser l'actualité et d'établir une perspective critique de la décision du Ministre de l'intérieur jusqu'en 2019 et leader de l'extrême droite Matteo Salvini de refouler des bateaux de migrants. Dans la pratique, malheureusement, la représentation accumule des micro-moments de manière fragmentaire, frôlant parfois l'aléatoire. L'intensité du drame est malgré tout conservée et exploitée par la distribution et la direction musicale d'Omer Meir Wellber.
Julian Hubbard incarne Parsifal : la brillance de son timbre manifeste tour à tour la fierté, la naïveté et la passion du « sot au cœur pur » de la légende Arthurienne. La voix, dotée de chaleur, force et sensibilité, garantit une expressivité impeccable des moments lyriques principaux du personnage. Le sommet de ces derniers, le cri de pitié « Amfortas! die Wunde! » (Amfortas ! la blessure !) est une manifestation robuste et violente de l'épiphanie qui convertit le sot en rédempteur. Toutefois, la virtuosité vocale n'est pas égalée par le jeu d'acteur. Dans le deuxième acte, son interaction avec Kundry (Catherine Hunold) paraît ainsi particulièrement maladroite en raison du manque d'intensité dramatique engendrant un grand écart dans le niveau d'engagement.
Catherine Hunold campe une Kundry réfléchie mais très convaincue. La robustesse vocale s'impose aux bons moments, expressive et caressante, angoissée et angoissante, notamment grâce à la maîtrise solide des nuances émotionnelles de son timbre. Celui-ci est naturellement plein de gravité, sobre et élégant, particulièrement intense et effrayant de fait lorsqu'il initie l'hystérie de la pécheresse. La chanteuse démontre également un fort engagement dramatique, capable de capter les pôles contradictoires du personnage et même de convaincre pendant des moments parmi les plus absurdes de la représentation (au début de la scène de séduction, seule la tête de Kundry apparaît sur scène, alors que le reste du corps est caché dans la trappe).
John Relyea impressionne en Gurnemanz. Vocalement robuste, il se montre également lucide par rapport à la singularité du personnage qui risque de réduire celui-ci à un rôle de narrateur-observateur. Relyea déjoue cette singularité et infuse au personnage une humanité concrète et pertinente par son jeu d'acteur, bien soutenu d'ailleurs par son timbre de fer, également riche de force et de nuances émotionnelles.
Tómas Tómasson s'investit corps et âme pour incarner Amfortas. Il n'hésite pas à puiser dans les ressources tragiques de son jeu d'acteur pour représenter la souffrance du personnage, qu'il fait de manière à la fois lucide et sensible, sans jamais tomber dans l'exagération. Cette excellence de la présence scénique est soutenue par la solidité vocale fermement enracinée dans la densité du timbre. La transition entre les registres se fait naturellement dans la lamentation comme dans le cri de détresse, permettant à la voix de saisir la tendresse et de foudroyer dans les plus hauts sommets de la ligne vocale.
Thomas Gazheli réunit la pesanteur et l'ironie dans son interprétation de Klingsor, de telle sorte que le personnage ressort par une complexité affective qui alterne la colère, l'angoisse, la perversion et le renoncement. Grâce à cela, le timbre plein de gravité convient ainsi au personnage dépourvu de dignité. Quoique la représentation de la figure de Klingsor fait écho à la faible part de sensations dans l'ensemble scénique, Gazheli achève presque l'impossible en la traitant avec bravoure, et surtout fermeté.
Dans les rôles secondaires, Adrian Dwyer et Dmitry Grigoriev, les deux chevaliers, montrent une collaboration solide. Dwyer, surtout, revendique avec réussite son moment scénique pendant ses échanges avec Gurnemanz. Les principales filles-fleurs, Elisabetta Zizzo, Sofia Koberidze, Alena Sautier, Talia Or, Maria Radoeva et Stephanie Marshall sont toutes prometteuses. Chacune sait se mettre en valeur dans l'interaction avec Parsifal : l'impact dramatique considérable qui s'y crée sauve la scène de ses visuels gauches. Alexei Tanovitski valorise la rondeur et la mélodicité de sa voix pour saisir à la fois la froideur et le charisme de Titurel. La cohérence de son jeu d'acteur compense l'imprécision de la diction. Le chœur des soldats manque un peu de puissance, mais est d'un solide équilibre vocal.
La direction musicale d'Omer Meir Wellber, moteur bénéfique du drame, réunit l'intelligence à la sensibilité pour saisir des élans de la masse sonore. Le prélude du premier acte est exécuté avec grand soin et raffinement, sans aucune précipitation superflue. Les nuances et les textures de la masse sonore sont valorisées dans leur homogénéité, mais également dans leur singularité. Les deux épisodes de Verwandlungsmusik (musique de transformation scénique) sont exacts, sincères et efficaces : en somme, des tours de force. Dans le deuxième épisode de ce genre, les contrebasses et les cuivres poussent la tension dramatique jusqu'à l'aboutissement, au sommet d'intensité dramatique martelé par les battements accusatoires des cloches du temple.